Dans les journaux

Divorce: «Le père paye et ferme sa g…»

L’association Père pour toujours Genève et l’avocate Anne Reiser déplorent le manque d’avancées en la matière sur le plan juridique et législatif.

«Le père paye et ferme sa g…», résume Jo. Tel est son sentiment après un an de procédure de divorce… «Et, ce n’est toujours pas réglé! C’est long, lourd et déstabilisant», ajoute ce quadragénaire visiblement peiné par la situation. Il faut dire que, depuis qu’il est séparé de son épouse, il voit peu ses enfants. Son cas est loin d’être une exception.

Comme en atteste Felipe Fernandez, secrétaire de Père pour toujours Genève. L’association qui promeut le maintien des relations des enfants avec leur père après une séparation reçoit en moyenne un à deux coups de téléphone par jour. «Certains demandent des conseils, d’autres cherchent un soutien face à une procédure longue et stressante. On sent beaucoup de colère… Le système n’est bon pour personne. Il aggrave le conflit entre parents, au lieu de l’apaiser», regrette Felipe Fernandez.

En la matière, la justice genevoise a encore du chemin à parcourir, explique-t-il. «A Monthey (Bas-Valais), on applique depuis plus de deux ans le «modèle de Cochem» (la ville allemande où cette méthode a vu le jour). On agit rapidement, en privilégiant la médiation. Ainsi, les intervenants aident les parents à trouver une solution pour la garde des enfants. Dans la plupart des cas, la situation se clarifie et les inquiétudes diminuent». Si, à Bâle-Ville, on utilise des protocoles similaires depuis des années et si un projet du même type est lancé dans l’Est vaudois, Genève est à la traîne. «Même s’il y a plus de gardes alternées attribuées qu’avant, cela reste «au petit bonheur la chance». Heureusement, les choses sont en route, notamment à travers le projet de loi du Conseil d’Etat sur la médiation», indique Felipe Fernandez, préférant voir le verre à moitié plein.

«Des lunettes des années 50»

L’avocate Anne Reiser, spécialisée dans le droit des familles, est plus sévère: «L’homme est inaudible. A moins d’être une «mère comme les autres», c’est-à-dire de se comporter telle une mère avec l’enfant, le père n’est pas entendu dans le système actuel.» Citant notamment l’exemple du père ayant enlevé ses deux enfants le 21 novembre à Thônex, elle ajoute: «Sans se prononcer sur ce cas précis, on constate que tout le monde est d’accord pour dire que la justice est trop lente dans ce domaine avec pour conséquence que les enfants (et les parents) souffrent. On doit s’interroger: comment se fait-il que des gens recourent à des actes de justice propre? Ne sont-ce pas des appels au secours? Cela démontre en tout cas qu’il y a urgence à traiter cette situation sociale.»

Et l’avocate de poursuivre: «En 55 ans, tout ce qu’on entendait par «famille» dans le Code civil de 1912 a été pulvérisé! Et pourtant le cadre législatif et juridique n’a pas ou peu évolué.» Au cœur de la problématique, analyse-t-elle: l’argent. «On part du principe en Suisse que la famille doit être financièrement autonome. Dans le cadre d’une séparation, on regarde qui gagne le mieux sa vie et on considère qu’il doit être plus sollicité financièrement. Et qu’il n’aura, de facto, pas le temps de s’occuper des enfants.» De quoi renforcer le sentiment de plusieurs pères, à l’image de Jo, d’être «une vache à lait».

Citant le fait qu’en Suisse, 17% des pères ont fait le choix de diminuer leur temps de travail pour être plus présents, Me Reiser s’étonne: «Cette réalité sociale n’est absolument par perçue par les juges, ni par les autorités de protection de l’enfance… Ces derniers portent des lunettes des années 50 pour observer une réalité de 2022!»

Evolutions cantonale et fédérale

Dénonçant une violence structurelle qui frappe particulièrement les hommes, Anne Reiser appelle à une évolution du cadre légal. Elle se réjouit ainsi du mouvement initié par le pouvoir judiciaire sur le plan cantonal en réponse au projet de loi du conseiller d’Etat Mauro Poggia sur la médiation. Et, sur le plan fédéral, du rapport du Conseil fédéral sur le traitement des séparations parentales, attendu pour 2023.

Felipe Fernandez, lui, se veut confiant: «Peu à peu, les mentalités vont changer. De nos jours, les pères sont plus engagés dès la naissance de l’enfant. Pour eux, c’est tellement une évidence qu’ils ne trouvent pas normal de devoir se battre pour la garde alternée.» Encore faut-il qu’ils soient entendus…

Les pères divorcés en prennent plein la figure !

(Une du GHI du 27 mars 2019, par Laurent GRABET)
  • A Genève, 529 couples avec enfant(s) ont divorcé en 2017. Au fil de la procédure, les pères « dégustent ».
  • Nos témoins disent avoir pâti de préjugés défavorables aux hommes de la part des institutions.
  • « Père Pour Toujours » se bat pour qu’une médiation soit instaurée avant toute procédure de séparation.

A l’heure où « me too » a mis en lumière les violences faites à certaines femmes, force est de constater que lors des divorces avec enfant(s), ce sont les hommes qui sont discriminés. C’est ce que déplorent les pères que nous avons interrogés. « Une pernicieuse idéologie pro-mère reste omniprésente dans les institutions. Elle déforme l’appréciation des situations et génère beaucoup de souffrance notamment chez les enfants qu’elle se targue de protéger ! » dénonce Vincent Meoni. Cet ingénieur de 49 ans est père d’un fils de 13 ans et d’une fille de 9. Il est séparé de leur mère depuis 8 ans et a obtenu la garde alternée. 

Privé de son enfant

Son marathon juridique a « épuisé » huit juges et trois pédopsys. Il n’est pas terminé. Le Genevois a laissé 150’000 fr dans la bataille et quelques plumes. Sa séparation lui a valu, comme c’est souvent le cas, des problèmes de santé. Insomnie, troubles digestifs et cardiaque. Pourtant, il a refusé de faire le dos rond comme nombre d’avocats le conseillent pour limiter la casse face à la justice. Laquelle reste encore souvent engluée dans une vision selon laquelle Madame doit avoir la garde et Monsieur se cantonner au rôle de payeur. Ce constat nous est confirmé par Me Fontana, avocate traitant régulièrement de procédures de droit de la famille sur Genève. Au final, beaucoup de pères voient leurs enfants bien moins qu’avant et d’autres plus du tout. « Je n’ai plus eu de contact avec mon fils de 26 ans depuis vingt ans alors que la justice me donnait le droit de le voir», confie par exemple Julien Dura. 

Le « supplice de la lenteur »

« Notre société est schizophrénique. D’un côté, elle encourage les papas à s’occuper de leur enfant dès l’accouchement. De l’autre, elle se recroqueville sur des stéréotypes dépassés lors des séparations », déplore Felipe Fernandez, secrétaire de « Père Pour Toujours Genève ». L’association se bat pour instaurer en Suisse une médiation en cas de séparation avec enfant(s). Les exemples québécois ou bâlois montrent que cela évite l’escalade et le « supplice de la lenteur institutionnelle». 

Le Genevois Teklemariam Ghebreslassie a ainsi passé dix mois sans voir ses deux fils ! Soit le temps pour la justice d’établir que la plainte pour maltraitance de son ex-compagne à son encontre était infondée. Ces fausses accusations restent courantes. Elles attisent des conflits de loyauté destructeurs et demeurent le plus souvent impunies. Les dépressions ne sont pas rares ni les suicides chez les pères concernés. D’autant qu’un divorce enfante quasi systématiquement deux appauvrissements ! « Sous prétexte que j’ai un master, le juge m’a collé une pension ne me laissant que 200 fr par mois pour vivre », dénonce ainsi Teklemariam Ghebreslassie qui confie que la tristesse et la colère ont bien failli terrasser. 

Et Felipe Fernandez de conclure tristement: «En France 21% des pères obtiennent la garde alternée, en Espagne 30% et en Belgique 40%, contre 10% chez nous ! Les papas suisses valent-ils 2 à 4 fois moins que les autres ? » 

Les Genevois, médaillés d’argent du divorce !

DÉCHIFFRAGE D’après l’Office cantonal de la statistique, 15’906 couples, ayant 11’529 enfants, ont divorcé en Suisse en 2017. Pas moins de 1’091 couples ont divorcé rien que dans notre canton au cours de cette même année. Parmi eux, 529 avaient au moins un enfant. Cela fait de Genève, le second canton où l’on divorce le plus, juste derrière le Jura et devant Vaud. Jusqu’à 70% du revenu de certains avocats se font sur ces affaires de divorce et de garde !